PRÉSENTATION

Éclairages pluridisciplinaires pour l’aménagement des langues créoles, langues en situation de contact inégalitaire.

Colloque international – 4 & 5 octobre 2012
Cité des Sciences et de l’Industrie – salle Jean Painlevé

Les langues créoles, pour la plupart insuffisamment aménagées, sont toujours en contact avec des langues standardisées depuis longtemps. C’est le cas notamment des créoles :
– d’Haïti et des R.O.M. (Guadeloupe, Guyane, Martinique, La Réunion) en contact avec le français ;
– du Cap-vert, de Guinée Bissau, de San-Tomé et Principe, de Casamance, en contact avec le portugais ;
– de la Dominique et de Sainte Lucie, en contact avec l’anglais ;
– des Seychelles et de Maurice en contact avec le français et l’anglais ;
– etc.

Ce contact est toujours inégalitaire, même si cette inégalité n’est pas la même selon les langues : certaines d’entre elles, grâce à leurs défenseurs, ont pu acquérir des droits non négligeables.
Cela dit, l’une des causes de l’inégalité dans ce contact de langues – mais chacun sait que ce n’est pas la seule, loin s’en faut ! – est le manque d’aménagement.

Rien n’est facile en matière d’aménagement des langues et les sociétés créoles présentent à cet égard une situation particulièrement complexe. Peut-être même seraient-elles plus rétives que d’autres à la standardisation linguistique du fait de la présence dans leur intimité d’une langue standard qui est aussi une langue mère. Pour cette raison, elles ont tout à gagner d’une réflexion sur les pratiques linguistiques et les pratiques culturelles qu’elles portent. Plus que jamais il me semble opportun de poursuivre l’étude des langues en rapport avec la pédagogie. (Lambert Félix Prudent, Onzième Colloque International des Etudes Créoles1).

Cet extrait de communication, ainsi que toute une littérature plus récente, nous amènent à nous poser un certain nombre de questions :
• En quoi la présence d’une (de) langue(s) standard(s) dans l’intimité d’un créole pourrait-elle être une difficulté supplémentaire à la standardisation de ce dernier ?
• Qu’ajouterait encore à cette difficulté le fait que la langue standard est une langue mère de ce créole ?
• Faut-il prendre en compte la présence de cette langue mère (souvent : cette omniprésence) dans la standardisation du créole considéré ?
• Que peut apporter à la standardisation de cette langue la réflexion sur les pratiques linguistiques et culturelles de l’aire où cette langue est parlée ?
• En quoi la réflexion sur la pédagogie mise (ou à mettre) en jeu dans un pays créolophone et les conditions d’optimisation en classe doivent-elles être prises en compte dans la standardisation de la langue créole de la région / du pays considéré (e) ?
• Plus généralement, et pour reprendre la formule de Robert Chaudenson2, le “pour quoi” de la standardisation d’un créole (c’est-à-dire en vue de quelles fins et dans quelles perspectives économiques, sociales, culturelles…) ne doit-il pas conditionner le “comment” de cette standardisation ?
• Cette standardisation ne doit-elle pas obligatoirement prendre en compte l’évolution des technologies de l’écriture et du numérique ainsi que les usages qui en sont faits, lesquels, de par les standards techniques qui leurs sont propres, ne prennent pas forcément en compte les spécificités de toutes les langues du monde?
• Dans les différents territoires créolophones, quelles sont les expériences technologiques en cours qui concernent l’aménagement des créoles ?
• Enfin, dans les territoires concernés, les politiques linguistiques prennent-elles en compte l’inégalité des contacts dans l’aménagement du corpus de la langue créole en question, si oui, dans quel sens ?

C’est à cet ensemble de questions que le colloque Eclairages pluridisciplinaires pour l’aménagement des langues créoles, langues en situation de contact inégalitaire doit tenter de répondre.

Les organisateurs de ce colloque ont des buts pragmatiques : l’aménagement des langues en situation de contact inégalitaire (celui des créoles en particulier) est une de leurs préoccupations, souvent la préoccupation majeure. Le colloque devrait déboucher ainsi sur des préconisations pour l’aménagement des créoles.
5 grands domaines disciplinaires seront concernés au premier chef :
– la linguistique (en particulier la sociolinguistique) ;
– la psychologie cognitive ;
– l’informatique et les nouvelles technologies ;
– la pédagogie ;
– les sciences de l’information et de la communication.

Aux réflexions disciplinaires, devraient s’ajouter celles sur les politiques linguistiques.
Enfin, parmi les problèmes à traiter, une réflexion sur l’homographie de langue à langue apparaît nécessaire : certains systèmes d’écriture conduisent en effet à la même graphie pour des mots différents (prononciations et sens), c’est le cas notamment entre les langues créoles et les langues mères dont elles sont issues. Ce sont des homographes, mais d’une langue à l’autre.

Quelques exemples pris parmi de nombreux autres dans des systèmes d’écriture du :
– créole seychellois : penny à prononcer (pCG) (traduction en français : peigne). Aux Seychelles, comme chacun sait, l’anglais est l’une des langues officielles ;
– créole réunionnais : dans à prononcer (dBs) (en français : danse) ; pas à prononcer [pas] (en français : passe) ; sans à prononcer (sBs) (en français : sens ou chance).
La fréquence de cette homographie est loin d’être négligeable pour certaines langues créoles.
Quelles conséquences pourrait avoir le maintien de cette homographie dans un système d’écriture ?
Toute communication ou réflexion sur ce sujet serait la bienvenue. La question est volontairement très générale. Pour toute précision, contacter le conseil scientifique.

Chaque communication durera 25 minutes et sera suivie d’une discussion de 15 minutes. Des ateliers devant aboutir aux préconisations que le colloque doit faire sont prévus : ils seront organisés en fonction du nombre et de la nature des communications retenues.
Ce colloque, co-organisé par laboratoire CHART (Cognitions Humaine et ARTificielle) de l’Université de Paris 8, l’Office de la langue créole de La Réunion, le LUTIN (Laboratoire des Usages en Technologies d’Information Numérique) de la Cité des Sciences et de l’Industrie de Paris, et le LCF (Langues, textes et communication dans les espaces créolophones et francophones, UME 8143 du CNRS), se tiendra à la Cité des Sciences et de l’Industrie (salle Jean Painlevé) les 4 et 5 octobre 2012.

Les actes du colloque seront publiés sous forme numérique.

https://sites.google.com/colloquelanguecreole/submission

1 L’Harmattan, éd. 2006.
2 R. Chaudenson, « Pour un aménagement linguistique intégré : le cas de la graphie des créoles français »,
Etudes créoles, vol. X n° 2, 1987, p. 141-158.

PRÉCONISATION

Aménagement d’un créole, langue en contact d’une (ou de) langue (s) aujourd’hui prépondérante1(s)

Les différentes communications, les discussions qui les ont suivies, la table ronde finale – avec des échanges constants avec le public présent jusqu’à la dernière minute – ont largement répondu à ces questions. Elles amènent à faire (ou rappeler) les assertions et préconisations suivantes :

• Les créoles : diverses langues à part entière
En matière de langues, parler de « créole» au singulier n’a pas de sens : les phonologies, les syntaxes, les lexiques… sont, en grande partie, différents d’un créole à l’autre. Il existe, d’ailleurs, des créoles originaires du français, de l’anglais, du portugais, de l’espagnol, etc.
Pour ce qu’il s’agit des créoles originaires du français2, pour une très grande part, ils sont largement différents les uns des autres. Cela a pour conséquence que chaque langue créole ne peut avoir que son propre aménagement.

• Des passerelles nécessaires
L’aménagement d’un créole doit, en premier lieu, prendre en considération les besoins de la société dans laquelle ce dernier est parlé. Ces besoins diffèrent d’une société à l’autre, mais dans tous les cas, à différents degrés, et quel que soit le statut politique du pays ou de la région où le créole est parlé, la symbiose du créole considéré avec la (ou les) langue(s) prépondérante(s) semble incontournable. Il s’avère donc nécessaire d’établir, dans son équipement, des passerelles entre la langue créole donnée et la (où les) langue(s) prépondérante(s).
L’établissement de ces passerelles concernent avant tout, la correspondance entre phonèmes et graphèmes, et ce pour éviter l’effet Stroop, et permettre le déroulement normal des processus de “bas niveau” si je me trompe Charles (Tijus) corrigera., déroulemznt qui exige le moins d’oppositions possibles entre le créole considéré et la (les) langue(s) aujourd’hui prépondérante(s) dans l’aire considérée.

• Une indispensable distinction des codes
Passerelle entre les codes ne veut pas dire confusion des codes. Dans le domaine de la graphie (et de nombreux créoles en sont encore au stade de l’élaboration d’une graphie acceptable et fonctionnelle), pour des raisons pédagogiques – surtout dans les cas de mélange non maîtrisé –, pour la mise en route des processus psychologiques cognitifs de “niveau supérieur” là aussi, il faudrait peut-être corriger, pour des raisons identitaires aussi, une distinction graphique est à rechercher.

• Une coordination entre “passerelles” et “distinction”.
En partant d’une citation de Nina Catach, grande spécialiste de l’orthographe3 : « Le système graphique … c’est un premier niveau phonographique, et ensuite un niveau morphémique et sémantique », on peut faire la synthèse des deux points précédents, qui semblent s’opposer, par :
Pour le premier niveau (le phonographique) il faudrait éviter les oppositions entre la graphie d’un créole donné et le(s) système(s) graphique(s) de la (des) langue(s) prépondérante(s)4 ;
Pour le second niveau (le morphémique et sémantique) il faudrait se diriger, autant que faire se peut, vers une distinction des codes.
Sur le plan graphique, pour les créoles, une large coordination entre “passerelles” et “distinction” devrait être possible. Dans les cas où cela ne le serait pas, il faudrait rechercher un équilibre entre ces deux pôles.

• A propos de la différenciation maximale5
Entre autres raisons, parce qu’elle est difficilement acceptable par la majorité des locuteurs eux-mêmes des différentes langues créoles, parce qu’elle leur pose des problèmes que ces derniers ne peuvent – ou ne veulent – pas résoudre, parce qu’elle ne prend pas en compte les nécessaires passerelles entre la (les) langue(s) prépondérantes, la différenciation maximale ne peut être le principe fondateur de la standardisation d’un créole.

• Le principe phonographique
Les communicants et participants à l’EPALC 2012, ne préconisent pas, pour autant, pour chaque créole, une graphie calque de la (ou des) langue(s) prépondérante(s), mais plutôt des graphies, pour l’essentiel, phonographiques. Et cela pour au moins quatre bonnes raisons :
– Reconnaissance du créole considéré comme langue autonome ;
– Respect du système graphique du créole considéré ;
– Impossibilité d’exiger que le scripteur d’un créole donné possède, avant toute chose, l’orthographe de la (ou des) langue(s) prépondérante(s) du pays (ou des régions) concerné (s) ;
– Transparence6 des graphies pour la lutte contre l’analphabétisme et l’illettrisme (dans les pays et régions où ces problèmes existent et où un (ou des) créole(s) est/sont ou devrai(en)t être, le(s) média(s) de l’apprentissage de la lecture).

• Écarts possibles au principe phonographique
Lorsque cela s’avère nécessaire, par exemple, dans le cas d’ambiguïté graphique – ce qui pourrait ralentir la lecture, la rendre moins confortable – des écarts au principe précédent devraient être acceptés.

• Respect des mécanismes de lecture
Dans tous les cas, le respect des mécanismes de lecture est indispensable. Si cela s’avérait nécessaire, on pourrait accepter, aussi ponctuellement que possible, des solutions graphiques de la (ou des) langue (s) prépondérante(s).

• Des solutions graphiques qui ne soient pas dérangeantes pour la majorité des lecteurs
De toute façon, les solutions graphiques à adopter devraient être les moins dérangeantes possibles pour la majorité des lecteurs du créole considéré, et cela même si cela entraine, ponctuellement, une similitude entre l’écriture du créole considéré et celle de la (des) langue(s) prépondérante(s) qui sont en contact avec lui.

• La prise en compte des usages
Il faut absolument prendre en considération les solutions adoptées par ceux qui écrivent aujourd’hui dans tel ou tel créole (pour la création littéraire, la publicité, le GSM, Internet, les réseaux sociaux,…) non pas pour les copier servilement, mais pout en tirer les leçons permettant d’arriver à des solutions acceptables par la majorité des lecteurs.

• Difficulté d’utiliser des caractères spéciaux
Justement, pour des raisons d’acceptation par les lecteurs et scripteurs d’un créole considéré, mais aussi pour des raisons pratiques, il faut utiliser les possibilités qu’offre le clavier dont on se sert habituellement dans l’aire (ou les aires) où le créole en question est écrit. Les polices particulières, les caractères spéciaux, ne sont pas conseillés. Le fait que ce clavier est, très probablement, celui de la langue prépondérante ne doit pas être cause de rejet.

• Unité et diversité dans l’aménagement
Dans le cas d’un créole polynomique7, un aménagement tenant compte de la variation lectale, devrait être envisagé. Dans tous les cas, pour ne pas rebuter certaines catégories de locuteurs, et aussi longtemps qu’il le faudra, des tolérances devraient être proposées.

1 Dans le sens que le Petit Robert en donne : Qui a plus de poids, qui l’emporte en autorité, en influence.
2 Mais l’origine n’est pas tout.
3 A rédiger
4 Ici, une complication (et en même temps une facilitation) se présente : les langues prépondérantes pouvant avoir des solutions graphiques en contradiction l’une avec l’autre
5 On pourrait laisser le terme de déviance maximale de côté.
6 Une écriture transparente est une écriture qui respecte la correspondance entre graphèmes et phonèmes.
7 Dans le sens qu’en donne MARCELLESI J.B.