L’écriture du créole réunionnais : de l’élaboration à l’appropriation ?
« (il faut) préserver le droit des usagers sur la langue qui leur appartient.”
Nina Catach
Les locuteurs/scripteurs jouent un rôle important, régulant en quelque sorte spontanément la langue : acceptant une structure ou un mot ici, en refusant une ou un autre là, proposant eux-mêmes telle ou telle innovation…
Ce travail de standardisation est toujours un travail qui pour être efficace, pour être retenu dans la langue et générer éventuellement d’autres innovations, doit être « populaire », c’est-à-dire émaner du peuple ou être utilisé par le peuple.
Marie-Christine Hazaël-Massieux
« L’écriture d’une langue comporte aussi des aspects anthropologiques : à travers la langue, c’est toute l’identité d’un peuple qui est en question. Il est absurde de chercher à imposer à une population un système d’écriture dans laquelle elle ne se reconnaît pas ».
Marie-Christine Hazaël-Massieux
« A pratical orthography should be acceptable to the people of the region where it is to be introduced. It should receive popular support and approval. In order to learn to read people must first desire to learn to read… »
« Une orthographe réaliste devrait être acceptable par le peuple de la région où on veut l’introduire. Elle devrait recevoir l’approbation et le soutien populaires. Pour apprendre à lire la population doit d’abord désirer apprendre à lire.»
Kenneth Pike
La question que, d’abord les aménageurs du créole réunionnais (ceux qui élaborent des écritures, des dictionnaires, des normes grammaticales…), puis les militants de la langue devraient se poser est la suivante : quels sont les propriétaires de la langue créole de la Réunion ? A cette question la réponse est simple : d’abord à ceux qui la parlent et qui l’aiment, à ceux qui aimeraient la parler, puis à ceux qui la trouvent digne d’intérêt, enfin, à ceux qui, quoique locuteurs, n’ont pas encore compris son importance. Toutes ces personnes, ont, à un titre ou un autre des droits sur la langue.
Pour le créole réunionnais, Lékritir 77 entrevoyait déjà le problème. Voici, par exemple la conclusion du petit fascicule décrivant lékritir 77, tout d’abord dans sa version créole, puis dans sa version française :
« Tout de moun i konpran, i fo kontrol se fasson-n ékri la. Pou sa minm i fo ni ésèy pou oir si lé bon. S-i fo nou va artrouvé. »:
« Il est évident que la graphie proposée doit être testée. En conséquence nous nous engageons à l’expérimenter et à étudier les problèmes que son utilisation soulèverait éventuellement. Nous nous engageons aussi à nous retrouver pour discuter des imperfections que nous aurions remarquées. »
L’association Tangol en avait clairement conscience : “Tangol n’a aucun titre de propriété sur la langue réunionnaise qui est notre bien à tous”.
Alors à qui revient l’aménagement de la langue, en particulier de l’écriture, étape incontournable que nous n’avons pas encore franchie ? Ici plusieurs conceptions s’affrontent :
1. Une conception privilégiant les usages prétendument “spontanés”.
2. La conception élitiste, qui est encore celle de nombreux militants et pédagogues : les chercheurs conçoivent (plus exactement ont déjà conçu) des systèmes graphiques. Parmi les solutions qu’ils proposent, il faut en choisir une ou en fusionner plusieurs. Et si l’on fait appel aux usages, il faut s’en tenir à ceux des écrivains.
3. La conception des sociolinguistes d’aujourd’hui: impliquer les locuteurs, par un dialogue permanent, dans l’élaboration du système graphique. Celle qui semble s’imposer aujourd’hui.